La ville de Metz s’est dotée d’une ancienne architecte des bâtiments de France comme adjointe à l’urbanisme, La bonne connaissance du terrain comme des administrations centrales favorise l’analyse et le montage des dossiers sur le plan social, culturel et économique. Nadia Devinoy assure une politique urbaine basée sur les interventions prioritaires et le partenariat.
La vocation, comme la carrière de Nadia Devinoy, est atypique. Roumaine, née dans une famille très francophile, elle étudie aux Beaux-Arts de Bucarest alors que son père, diplômé de l’École supérieure d’électricité de Nancy, est parti pour la Suisse, où est installée la société de turbines électriques pour laquelle il travaille. « Il ne pourra y faire sa situation et part pour Paris. Nous sommes en 1948, en pleine guerre froide. La phobie du moment est que les chars russes débarquent sur les Champs-Élysées. Mon père fit venir le reste de la famille à Paris mais, inquiet pour notre avenir, il décida de pousser un peu plus à l’ouest et de mettre un océan entre nous et les… “menaces”. Ce sera le Canada. » Déjà volontaire, pour ne pas dire têtue, la jeune Nadia Devinoy, qui est entrée aux Beaux-Arts de Paris, en architecture, décide de ne pas suivre le mouvement et de rester en France. « Ce ne fut pas tous les jours facile. Il n’y avait pas de filles à l’école. » Elle se forge un caractère, un charisme, qui lui seront bien utiles par la suite, si l’on se place du côté des défenseurs du patrimoine et plutôt agaçant, pour ceux, et ils seront nombreux à Metz et en Moselle, dont elle jugera les projets d’aménagement inesthétiques, non conformes ou inopportuns.
Metz, sans une hésitation
La disciple d’Auguste Perret aux Beaux-Arts épouse un architecte, Pierre Devinoy, et débute dans le libéral, en 1958. On retrouve sa signature dans la construction hospitalière de la région parisienne, les usines Vélosolex, des immeubles et écoles près de la faculté de Droit de la rue d’Assas. Mais la crise de la construction, dans le début des années 70, va lui faire prendre une autre route. Depuis toujours, elle s’intéresse à la rénovation des quartiers anciens, des centres historiques, autant qu’à l’architecture contemporaine. Avec Jean Coignet, elle œuvrera trois années à la restauration de la vielle ville de Carpentras. « C’est à son contact que je me suis forgée une ligne de conduite, une force de persuasion et que je suis entrée en patrimoine comme en religion. »
Il lui faut un champ d’action. Ce sera Metz et la Moselle, sans une hésitation malgré tous ceux qui lui déconseillent d’aller se perdre dans l’Est. « J’ai eu le coup de foudre pour cette ville, en une seule promenade de quelques heures… » C’était en février 1978 et Metz commençait à peine de se relever, sous la magistrature de Jean-Marie Rausch, d’une campagne barbare de “rénovation urbaine” menée par le maire et la municipalité précédentes, qui avaient mis à mal des quartiers anciens, comme le Pontiffroy, Coislin, rayant de la carte des rues, des palais patriciens tel l’Hôtel de Perpignan, des hôtels particuliers gothiques, Renaissance et classiques d’une valeur archéologique et patrimoniale inestimable, incontestable.
Moins combatif que celle qui allait lui succéder et surtout que les membres de l’association Renaissance du Vieux Metz, l’architecte des bâtiments de France de l’époque avait bien tenté de sauver l’essentiel monumental, alors que le conservateur en chef des musées faisait le tour des chantiers pour récupérer un pierre ici, une clé de fenêtre là, un escalier ailleurs… Ce qui permit de “remonter” quelques maisons et hôtels particuliers médiévaux dans la cour de Chèvremont aux musées de la Cour d’Or.
« Quand je suis arrivée dans le service, installé place Saint-Étienne, dans un bijou de pavillon XVIIIe situé à l’ombre de l’imposante cathédrale Saint-Étienne, je n’ai trouvé que trois personnes: un inspecteur des bâtiments de France, une secrétaire et un dessinateur, Henri Zayer, qui allait me seconder avec efficacité. Force est d’avouer que la protection ne représentait pas grand chose à l’époque. La plupart des élus et décideurs ignoraient ou feignaient d’ignorer les lois de 1913. On n’avait guère progressé depuis Prosper Mérimée et Viollet-le-Duc. Les premiers textes de protection des monuments historiques remontent pourtant à 1880 et chargaient les préfets de faire établir des listes des monuments et sites à protéger. La France était alors en avance sur d’autres pays européens comme l’Allemagne et la Grande-Bretagne. »
Avec gourmandise, Nadia Devinoy se met au travail et se fait transmettre les dossiers… Quels dossiers ? « Je n’ai rien trouvé, hormis ceux intéressant la protection des monuments historiques essentiels de Metz et du département de la Moselle. Rien sur la campagne, les villages lorrains, la protection des abords. »
Elle ne se décourage pas pour autant et se taille rapidement une réputation d’empêcheuse de tourner en rond ! « Pour ne citer qu’un exemple, on s’apprêtait à l’époque à faire des travaux dans la ville haute et ancienne de Hombourg-Haut, sans enquête préalable et encore moins d’autorisation. Les habitudes étaient prises d’ignorer totalement notre service. Aucune demande de permis de construire, de rénover, d’aménager ne nous parvenait. Je comprenais mieux alors pourquoi nos armoires, nos classeurs étaient désespérément vides. Les élus, les décideurs, les particuliers n’en faisaient qu’à leur tête. » Choisissant une position radicalement opposée, Nadia Devinoy se retrouve très vite et, souvent, entre marteau et enclume. Et même si cette femme énergique est faite d’un métal durci au feu, les coups font mal. Elle ne se sent guère aidée par la direction de l’Équipement ou l’autorité préfectorale, qui préfère mettre de côté ses lettres, ses dossiers que d’engager le fer avec des maires et conseillers généraux influents.
Elle s’offre un Premier Ministre
Qu’à cela ne tienne. À Sarrebourg, elle n’hésite pas à envoyer les gendarmes à un ancien Premier Ministre, député-maire de la commune, pour avoir lancé un chantier sans autorisation. La réaction de Nadia Devinoy fait grand bruit mais les pressions, tant à la préfecture qu’à Paris, ne lui feront pas varier d’un iota sa position. Madame l’architecte des bâtiments de France a des principes. Le chantier ne reprendra qu’après une négociation serrée. « II fallait que je me fasse respecter et à travers moi une charge, une fonction pour inverser la tendance aux mauvaises habitudes. Je confesse que si je ne fus pas toujours encouragée sur place par ma tutelle directe, Paris, le ministère ne m’ont jamais lâchée.»
Le maître-mot de la “bonne femme”, comme certains commencent à l’appeler sans aménité, est le travail. Avec passion, persévérance, elle parcourt des milliers de kilomètres en Moselle pour sauvegarder ce qui peut l’être encore dans les villages lorrains si caractéristiques : photographier les fermes, les églises, les lavoirs, les calvaires, les croix de chemin, donner des conseils, animer des réunions avec les élus, la population. Elle apprendra la diplomatie à partir de gaffes monumentales. « Dans mes projections de diapositives, je présentais les erreurs, les horreurs à ne pas commettre dans la rénovation de telle ou telle ferme. Et, sans le savoir, je choisissais souvent celle du… maire de la commune que je visitais ! J’ai pris alors l’habitude de puiser mes exemples à ne pas suivre dans la commune d’à-côté. Ce qui ne dérangeait plus personne. »
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Richard BANCE
Journaliste